Promoteurs, architectes… : la crise du logement se transforme en crise sociale
La chute des ventes de logements depuis un an oblige les promoteurs immobiliers à réduire leur masse salariale. La contagion aux architectes ou encore aux entreprises de bâtiment est inévitable.
Cyril Peter avec les bureaux régionaux
Alerte rouge sur la promotion immobilière. Au troisième trimestre, les réservations de logements neufs ont chuté de 40% sur un an, les mises en ventes, de 35%, selon le ministère de la Transition écologique dont dépend le secteur du logement.
Mécaniquement, la baisse des effectifs est enclenchée. « Chez les promoteurs, les départs de salariés sont non compensés depuis mars dernier au moment de la première révision budgétaire par rapport au business plan établi fin 2022, confie un professionnel, sous couvert d’anonymat. La situation se dégradant, certains acteurs, y compris les grands, sont passés à l’étape suivante : les licenciements. Ceux-ci sont ciblés sur un métier, par exemple les directeurs d’agence ou les développeurs fonciers, ou bien sur une agence, dans une logique de rationalisation. »
A ce jour, aucun promoteur n’a annoncé de plans sociaux, mais ceux-ci sont « en préparation », selon Pascal Boulanger, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), qui ne cite pas les employeurs concernés.
Jeu de chaises musicales chez Cogedim
A Toulouse, où la FPI locale agite depuis plusieurs mois le chiffon rouge de « la casse sociale », Cogedim gère désormais ses projets en cours depuis son agence bordelaise. En outre, plusieurs responsables de programmes toulousains ont été détachés à Bordeaux et Lille. Quant au directeur régional de l’ex-région Midi-Pyrénées, il a rejoint les équipes parisiennes pour se consacrer à de nouvelles missions, en lien avec le développement durable.
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Sur la Côte d’Azur, la marque phare du groupe Altarea opère aussi un jeu de chaises musicales. « Il s’agit de réaffecter le personnel en fonction des nouveaux produits et mettre à profit les compétences internes sur les postes correspondant aux métiers récemment ouverts par Cogedim dans la logistique urbaine, les data centers et la rénovation énergétique », explique son directeur régional Marc Raspor. Les agences Cogedim de Nice et Fréjus comptent 45 salariés dont 37 dédiés à la promotion, soit autant qu’il y a un an, assure-t-il.
Altarea, dont la stratégie consiste à décélérer sur le résidentiel pour investir dans le solaire et d’autres métiers perçus comme porteurs, précise au « Moniteur » qu’aucune fermeture de ses bureaux régionaux « n’est à l’étude ».
Des promoteurs jouent la transparence
Sur la trentaine de promoteurs de toutes tailles que nous avons interrogés, une minorité d’entre eux ont accepté de chiffrer l’évolution de leurs effectifs sur fond de crise de la demande.
Commençons par deux acteurs qui se présentent à contre-courant du marché. Implanté dans la métropole nantaise, qui détient le record national du taux d’écoulement de logements le plus long (29 mois), Axiom prévoit de passer de 12 à 13 salariés en équivalent temps plein (ETP) d’ici la fin d’année.
De son côté, le lyonnais 6e Sens, qui a également un pied dans le petit marché en croissance de la réhabilitation, table sur une stabilité de ses effectifs cette année, soit 73 ETP.
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Passons maintenant aux promoteurs qui ne cachent pas leur volonté de réduire un peu la voilure. GreenCity Immobilier prévoit 138 ETP à la fin d’année, contre 146 un an plus tôt. Et pourtant, son principal lancement commercial en 2023 est un succès. Malgré la rapide hausse des taux d’intérêt qui désolvabilise les ménages, la moitié des 159 lots de son programme Coupole Art Déco à Bezons (Val d’Oise) ont été commercialisés en quatre mois, notamment grâce à la vente en bloc. Cette opération représente 7% de son chiffre d’affaires 2022 de 440M€.
Même dynamique chez Ogic. Le 16e promoteur national déclare actuellement 240 salariés, contre 253 à fin 2022. Il vient par ailleurs d’annoncer l’ouverture de sa cinquième agence... à Toulouse. Si un directeur a été nommé, aucun recrutement n’est prévu, prévient toutefois Ogic. Sur son compte LinkedIn, aucune offre n’est en effet disponible…
« Ne pas réduire les effectifs, une faute de gestion »
Chez Pichet, l’hôtellerie a capté 34% des recrutements effectués depuis le début d’année, contre 27% en 2022. Le groupe girondin, spécialisé dans la production de logements et diversifié dans l’exploitation de résidences hôtelières, pense compter « environ 1408 employés » le 31 décembre prochain, soit 11 ETP en moins sur un an. Entre 2021 et 2022, ses effectifs avaient gagné l’équivalent de 10 ETP. Pichet n’est pas en mesure de « faire le distinguo entre les différents métiers du groupe dans la mesure où un certain nombre de fonctions sont mutualisées », explique son service communication.
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Chez Réalités, 50 à 100 suppressions de postes viseront, entre octobre 2023 et mars 2025, les fonctions support et son activité de maîtrise d’ouvrage. La moitié des 1300 salariés du groupe, bien implanté dans l’ouest du pays, travaillent pour la promotion.
Citons enfin l’alsacien Alcys Résidences, qui s’est séparé par rupture conventionnelle de deux conducteurs d’opération depuis le début d’année. Le promoteur régional compte désormais 10 salariés. « Chaque employeur essaie de procéder d’abord par non-renouvellement des postes, mais cela ne suffit pas avec l’ampleur de la crise », témoigne son dirigeant Frank Maire, par ailleurs président du Pôle Habitat FFB du Bas-Rhin. Et d’ajouter : « Ne pas réduire les effectifs, ce serait une faute de gestion. Et ne réagir que maintenant me semble même tard. Nous subissons la crise depuis un an… »
« Ruptures conventionnelles en forte hausse »
Les promoteurs cotés, eux, renvoient à leur communication financière. Le dernier état des lieux des effectifs remonte au 31 décembre 2022. Il n’y a pas de point d’étape trimestriel.
Chez Nexity, qui a revu à la baisse ses ambitions de production de logements, il faudra donc attendre la présentation des résultats 2023 (en février prochain) pour mesurer l’ampleur de la crise en termes d’emploi. Sur LinkedIn, le numéro un français continue d’embaucher, mais pas pour son cœur de métier. Ses 20 dernières offres d’emploi visent principalement à renforcer ses équipes de syndic et de gestion locative.
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En plein tempête, les « leviers » actionnés pour son activité de promotion sont les suivants : « pas de créations de postes, remplacement partiel des départs, baisse des dépenses de conseil et des frais de déplacement », liste la direction des ressources humaines de Nexity. « Les ruptures conventionnelles sont en forte hausse, au regard du nombre de collègues concernés qui sollicitent les représentants syndicaux pour se faire accompagner. Je ne peux pas les chiffrer car la direction refuse de communiquer ces données », complète de son côté Laurent Alcini, délégué CGT au sein du groupe.
Si ce phénomène n’est pas propre au métier, le patron d’une société de promotion immobilière basée à Strasbourg fait lui aussi état d’un nombre croissant de salariés qui « veulent négocier en espèces sonnantes et trébuchantes sous forme de ruptures conventionnelles assorties d’indemnités, au lieu de la démission qui se pratiquait traditionnellement ». En un an, sa PME est passée de 22 à 19 collaborateurs.
Bouygues Immobilier cherche des stagiaires
Bouygues Immobilier, dont l’activité repose à 95% sur le logement, a refusé de répondre à nos sollicitations. A fin 2022, le troisième promoteur national déclarait plus de 1500 ETP. Sa page LinkedIn, où seulement trois offres de stage ou d’alternance sont proposées, affiche une baisse de 4% de ses effectifs sur les six derniers mois.
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Parmi les acteurs de taille plus modeste qui ne nous ont pas répondus, Alila affiche une décrue de 5% sur la même période. Le spécialiste de la vente en bloc de logements sociaux ne compterait plus que « 103 employés », selon la page LinkedIn de l’entreprise.
Ces chiffres fournis par le réseau social sont probablement sous-estimés. Chaque utilisateur qui se retrouve sur le marché de l’emploi est en effet libre de mettre à jour son CV en ligne et d’annoncer publiquement qu’il n’est plus salarié par telle ou telle entreprise.
« Des départs contraints » en 2023 et 2024
Sous couvert d’anonymat, des promoteurs régionaux et nationaux admettent qu’une baisse de 10 à 20% des effectifs sera nécessaire entre janvier et décembre 2023, soit le même ordre de grandeur que les constructeurs de maisons individuelles.
Fragilisés en 2021 par la pénurie des matériaux puis en 2022 par le surcoût de la RE2020 (de 5 à 7% par rapport à la RT2012, selon la FFB), les Cmistes souffrent aussi de la difficulté des particuliers à financer l’achat d’un logement. « Dans mon entreprise TradiMaisons (à Clermont-Ferrand, NDLR), nous avons commencé à alléger l’effectif, à hauteur de 20% de la masse salariale, témoigne Sylvain Massonneau, vice-président du Pôle Habitat FFB. Ne pas remplacer les départs ne suffira pas. En 2024, il faudra de nouveau réduire la masse salariale de 20%, avec des départs contrains. »
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Pour éviter les licenciements, Eiffage Construction propose à des salariés de sa filiale de promotion de revenir à leur ancien poste. Un exemple ? « Un collaborateur qui était passé il y a quelques années d’Eiffage Construction à Eiffage Immobilier est retourné chez Eiffage Construction pour réaliser la même mission : étudier les prix », illustre Jean-Pierre Mahé, directeur du développement du logement social chez Eiffage Construction, dont la filiale de promotion est à la peine. Eiffage Immobilier n’a en effet vendu que 1011 logements lors des neuf premiers mois de 2023, contre 1936 sur la même période en 2022.
Ces petits ajustements seront insuffisants pour faire face à la chute des réservations de logements libres, plus rémunérateurs que des logements acquis par les bailleurs sociaux et opérateurs intermédiaires, les seuls acheteurs du moment. « Nous nous sommes imposés de ne pas sacrifier nos frais de gestion, représentant entre 6 et 8% du bilan de l’opération, car ils permettent de payer les salaires, estime Jean-Pierre Mahé. Il faut qu’il y ait le moins de casse sociale possible. Les commercialisateurs externes prennent de plein fouet cette crise, car nous leur donnons moins de travail. »
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D’autres métiers qui gravitent autour du malade sont menacés. Chez les architectes, « un certain nombre d’agences, notamment de 20 personnes, donc pas des petites, déposent le bilan ou sont en redressement judiciaire », alerte Jean-Michel Woulkoff, ancien président de l’Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa).
Ce ne sont que les premières secousses... « La moitié des agences travaillent sur des projets de logement, donc à partir du moment où les commandes des maîtres d’ouvrage diminuent de 30, 40 ou 50% sur ce type de programme, celles des maîtres d’œuvre diminuent d’autant, s’inquiète-t-il. On estime que 15% de leurs effectifs vont devoir les quitter en 2024, ce qui représente près de 10 000 personnes sur un total de 60 000. » Autrement dit, un emploi sur six pourrait disparaître sur une seule année.
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Les entreprises de bâtiment ne semblent pas non plus immunisées, reconnaît la Fédération française du bâtiment (FFB). « Le logement neuf entraîne le bâtiment dans une récession », avait déclaré son président Olivier Salleron, en septembre dernier. La baisse d’activité du marché résidentiel, estimée à 20Mds€ entre 2022 et 2025, sera synonyme de 150 000 suppressions de postes dans le bâtiment, anticipe la fédération.
Sur la même période, la FPI pense qu’il y en aura autant chez les promoteurs et les métiers connexes. Les bureaux d’études, dont l’activité repose majoritairement sur le logement, ou encore les études notariales, fragilisées par le recul des transactions dans l’ancien et le neuf, sont exposés.
Les promoteurs souffrent moins que les agents immobiliers
Le nombre de défaillances d’entreprises immobilières est reparti sensiblement à la hausse en 2021. Dans chaque métier touché par la crise du logement, les difficultés s’accentuent depuis 2022. L’institut Altares a ainsi relevé 77 défaillances de promoteurs de logements de janvier à septembre 2023, contre 96 en 2022. Chez les constructeurs de maisons individuelles : 589 depuis le début d’année, contre 624 en 2022. Ces deux branches ne sont pas à plaindre, comparées aux agences immobilières, qui affichent 561 défaillances en seulement neuf mois, contre 413 l’an passé. En cause : la baisse des transactions… dans l’ancien.
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