Logement : alerte aux défaillances sur la maison individuelle

Un an après la liquidation de Geoxia, le nombre de constructeurs en défaut ne cesse d'augmenter. Le réajustement de ce marché morcelé semble inévitable.

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Logement : alerte aux défaillances sur la maison individuelle
Damien Votte, client de Geoxia en Seine-Maritime (devant sa maison en construction).

Menace sur l'emploi et les chantiers en cours. Après Geoxia en mai 2022, les défaillances de constructeurs de maisons individuelles, ou « CMIstes », se sont multipliées ces douze derniers mois. Le cabinet Altares a recensé 724 redressements et ouvertures de liquidation judiciaire. Un chiffre en progression de 37 % sur un an, soit un peu plus que la hausse des défauts tous secteurs d'activité confondus (+ 35 %). La période de bienveillance à l'égard des entreprises fragilisées par la pandémie est donc bien terminée. Il faut rembourser son prêt garanti par l'Etat et les cotisations gelées, puis étalées par l'Urssaf. Les assignations devant les tribunaux de commerce viennent d'ailleurs de reprendre.

Sur le marché morcelé des CMIstes, les TPE de moins de trois salariés sont les plus touchées en nombre (471). Mais l'inquiétude porte avant tout sur les PME (au moins 10 salariés) qui enregistrent 71 défaillances, soit une augmentation de 82 % ! « Mécaniquement, un plus grand nombre d'employés se retrouvent sans travail et davantage de clients voient le chantier de leur maison s'arrêter », analyse Thierry Millon, directeur des études d'Altares. De son côté, le Pôle Habitat FFB note que le nombre de défaillances au premier trimestre (T1) 2023 dépasse même celui du T1 2019 (+ 1,4 %), avant la crise sanitaire. « Cette hausse devrait se poursuivre dans les prochains mois, estime Sylvain Massonneau, son vice-président. Mais nous ne prévoyons pas d'explosion des défaillances à ce stade, notamment parce que la grande majorité des constructeurs ont pris des mesures adaptées. »

Des litiges pour cause de malfaçons. Restriction sur les frais généraux, gel des embauches, fermeture d'agences, etc. n'auront pas suffi à sauver l'axonais Seissigma. Placé en liquidation judiciaire en octobre 2022, le franchisé s'est retourné contre son groupe Maisons Pierre. En cause ? « Des charges jugées abusives en contrepartie de la mise à disposition d'outils par le franchiseur qui prélève une part de son chiffre d'affaires, notamment pour financer la communication », observe Lauric Berthier, auteur de la dernière étude de Xerfi sur le secteur. En novembre 2022, le drômois Société française de maisons individuelles (SFMI) déclare forfait, acculé par un groupement de 320 clients qui dénoncent malfaçons ou délais de construction non tenus. En mars 2023, c'est au tour de l'angevin Carréneuf. Des artisans se plaignent de retards de paiement. Des clients s'estiment lésés. Le parquet d'Angers ouvre une enquête préliminaire pour des soupçons de blanchiment d'argent notamment. Le même mois, le spécialiste breton de la maison bois standardisée E-Loft, lui aussi touché, reconnaît : « Le modèle économique du groupe ne fonctionne plus au vu de la hausse des coûts des matières premières et des coûts de fabrication qui ne peuvent pas être répercutés sur les projets vendus. De plus, le manque de personnel sur les chantiers ne permet plus à la société de maintenir un rythme de livraisons correspondant aux commandes. »

Certaines de ces sociétés qui finissent en cessation de paiements partagent une caractéristique, selon Lauric Berthier : « Un passif de litiges assez fréquent, pour cause de malfaçons. Pour les clients, la maison achetée est un projet de vie. Donc ça se règle très vite au tribunal. » En 2017, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait constaté que 55 % des sociétés du secteur exposaient leurs clients à des complications car elles ne respectaient pas le cadre strict du contrat de construction de maison individuelle (CCMI) au sens de la loi du 19 décembre 1990.

Autre facteur qui pénalise la viabilité des CMIstes : la remontée des taux d'intérêt. Damien Hereng, président de la Fédération des constructeurs de maisons individuelles (350 entreprises adhérentes), fait le calcul : « De 2021 à 2022, le client a perdu environ 40 000 euros de pouvoir d'achat immobilier. Or, dans le même temps, le constructeur a vu son prix de revient augmenter de 30 000 euros. » Foncier inclus, la construction d'une maison individuelle tournait autour de 270 000 euros en 2022, selon la fédération. Si, d'après l'Insee, les coûts de production du bâtiment se stabilisent enfin, mais à un niveau élevé, la tendance des prix finaux est toujours à la hausse. Celle-ci a atteint 7,5 % sur les trois premiers mois de l'année chez le leader national Hexaom, soit près de 12 000 euros supplémentaires pour le client.

Nouveaux débouchés. En quête de nouveaux débouchés, des adhérents du Pôle Habitat FFB, qui pointent aussi le surcoût lié à la RE 2020 (entre 5 % et 7 % selon la FFB), misent sur la promotion de maisons groupées ou de petits collectifs, l'aménagement foncier et/ou la rénovation. Mais Damien Hereng n'est pas convaincu par la rénovation-acquisition, même très subventionnée : « Le ménage accédant a rarement à disposition les dizaines de milliers d'euros à investir après l'achat de son logement ancien. Par ailleurs, la vente en rénovation est plus technique que la commercialisation de maisons. Si le pivotement doit avoir lieu, il sera lent. » Comme chez Hexaom, dont le virage remonte à 2015. Le rachat de Camif Habitat et Illico Travaux visaient alors à faire du groupe « le leader de la rénovation clés en main de maisons en France ». Déstabilisée par les délais d'approvisionnement et l'indisponibilité de la main-d'œuvre, sa filiale dédiée aux particuliers a généré en 2022 un chiffre d'affaires de 96,3 M€, en baisse de 27,3 % sur un an. Elle est désormais présidée par Loïc Vandromme, le directeur général du groupe. Cette reprise en main a pour but de mettre fin aux « défaillances d'organisation » pour retrouver le chemin de la rentabilité, selon Hexaom, dont l'activité de rénovation ne pèse que 13 % du chiffre d'affaires global.

Le secteur dans son ensemble est aussi frappé par un défaut de trésorerie. Pourtant, son niveau de marge était élevé ces dernières années. En témoigne l'évolution du taux de valeur ajoutée (VA) de l'activité de la construction de maisons individuelles, qui montre la richesse brute créée par l'entreprise grâce à son seul cycle d'exploitation. Rapporté au chiffre d'affaires, le taux de VA - qui doit être suffisamment élevé pour couvrir toutes les charges - est passé de 19 % en 2020 à 29 % en 2021 et 32 % en 2022. « Ce taux, calculé sur la base des bilans essentiellement arrêtés au cours du premier semestre 2022, pourrait finalement baisser après l'enregistrement de tous les bilans 2022, du fait notamment de la facture énergétique, et continuer à se tendre en 2023 », anticipe Thierry Millon, d'Altares.

Les plus exposés sont « les low costers dont les petites marges unitaires par dossier sont compensées par de gros volumes, observe, de son côté, Damien Hereng. Les plus endettés, par exemple ceux qui ont récemment repris un concurrent, sont aussi dans une situation financière délicate. » A l'inverse, « les structures légères aux compétences et process de fabrication externalisés et fonctions support réduites pour très peu de charges fixes » sont les mieux armées, selon Sylvain Massonneau, du Pôle Habitat FFB. L'an dernier, les constructeurs ont vendu 96 000 maisons, un chiffre en baisse de 31,3 % par rapport à 2021, selon le Pôle Habitat FFB. Au T1 2023, les ventes ont encore chuté d'un tiers (- 30,5 %). Le partage du gâteau s'annonce compliqué.

Les défaillances s’accélèrent chez les CMIstes et les promoteurs immobiliers

Les défaillances s’accélèrent chez les CMIstes et les promoteurs immobiliers
Sur douze mois glissants à fin avril, le nombre de défaillances a augmenté de 37 % chez les constructeurs de maisons individuelles et de 54 % chez les promoteurs immobiliers, également touchés par la hausse des coûts de travaux et la remontée des taux d’intérêt.

« Le repreneur a dix mois pour finir les travaux »

« Notre chantier a été repris début février 2023 par le constructeur Extraco [filiale d'Hexaom, NDLR] via l'assureur Imhotep [filiale de Geoxia, NDLR]. Un conducteur de travaux d'Extraco nous informe de son avancement et des éventuels changements, comme celui de la couleur des tuiles à cause de délais d'approvisionnement plus longs que prévu. Notre contrat de construction de maison individuelle (CCMI) signé avec Geoxia indiquait une livraison en juin 2023. Extraco a jusqu'à mars 2024 pour finir le chantier. Selon le conducteur de travaux, nous pourrions avoir les clés d'ici au 1er août. Les indemnités de retard que nous devra Geoxia seront déduites par Imhotep sur la franchise de 8 000 euros qu'ils nous infligent, équivalente à 5 % du prix de la maison. »

« Le tarif appliqué par les garants pourrait augmenter », Anne Sallé-Mongauze, directrice générale de la Compagnie européenne de garanties et cautions (CEGC), filiale du groupe BPCE

Sur les 18 500 maisons que vous avez garanties en 2022, certaines étaient-elles construites par Geoxia ?

Non, nous avons toujours refusé d'assurer ses chantiers car nous ne nous considérions pas capables de les reprendre dans de bonnes conditions à cause de ses processus de fabrication particuliers. Cela ne nous a pas empêchés d'aider ses liquidateurs judiciaires. Nos juristes et économistes de la construction ont estimé le sinistre, proposé le repreneur et suivent encore le chantier de 200 maisons [sur les 1 455 projets arrêtés après la liquidation en juin 2022, NDLR].

Parmi vos 330 clients constructeurs de maisons individuelles, 10 % sont sous surveillance, contre 8 % il y a un an. Quel est leur profil ?

Ce sont surtout des petits constructeurs, qui représentent 5 % de notre encours de près de 4 Mds €. Ils font l'objet d'un suivi rapproché qui se traduit par exemple par des visites techniques plus fréquentes de nos architectes capables de chiffrer un chantier. Nous leur suggérons aussi des bonnes pratiques, de gestion notamment, afin de contenir la hausse du nombre des défaillances constatées chez nos clients depuis fin 2021.

Allez-vous augmenter vos tarifs ?

Le marché de la garantie de la maison neuve commence timidement à augmenter le montant des primes versées à chaque ouverture de chantier par le constructeur, au fur et à mesure des renouvellements de contrats annuels. Sauf pour les bons élèves dont le carnet de commandes et la trésorerie ne faiblissent pas. Le tarif global appliqué par les garants aux CMIstes a baissé d'environ 25 % sur les dix dernières années, alors que les coûts de finition des maisons à reprendre, suite à la défaillance du constructeur, ont quasiment doublé. Il est aujourd'hui sous-estimé par rapport au risque encouru. Chez CEGC, la garantie financière est actuellement comprise entre 0,35 % et 0,50 % du prix payé par le particulier. Nous pourrions à terme l'augmenter de 0,10 ou 0,15 point.

Faut-il craindre des défaillances en cascade ?

Je crois à un réajustement du marché, comme à chaque bas de cycle qui intervient tous les six ou huit ans. Les taux d'intérêt ne sont plus historiquement bas et le ZAN, destiné à monter en puissance, est peu favorable à la maison individuelle.

 

Geoxia : un chantier sur deux terminé

Sur les 1 455 projets arrêtés après la liquidation en juin 2022 de Geoxia (Maisons Phénix, Maison Castor…), 752 maisons sont actuellement en chantier. Outre les 19 en cours de signature, six opérations demeurent à l'arrêt à cause de leurs malfaçons. Et 678 dossiers sont terminés. Traduction : soit le chantier est achevé, soit un accord financier a été trouvé avec le client. En lien avec le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), les liquidateurs judiciaires qui représentent désormais Geoxia ont estimé le sinistre (son montant est confidentiel) afin d'obtenir les subventions (elles aussi confidentielles) nécessaires « pour qu'aucun maître d'ouvrage [ici, les particuliers, NDLR] ne reste sans solution », souligne Patrick Dixneuf, administrateur provisoire, qui collabore avec « une vingtaine de repreneurs ».

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