Le chantier de restitution de la flèche de la basilique Saint-Denis va enfin démarrer
Au sein de la très belle basilique de Saint-Denis, les travaux de consolidation en sous-œuvre s’achèvent. Ils laisseront place à la restitution de la flèche nord dans son état de 1845, pour laquelle les pierres seront taillées selon les méthodes traditionnelles.
Amélie Luquain
Cela fait 180 ans qu’elle l’attend. La basilique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) va enfin retrouver sa tour nord et la flèche qui la surmonte. Culminant à 86 m de haut (90 m avec sa croix), cet ouvrage du XIIe siècle a été restauré une première fois par l’architecte François Debret en 1838. Quelques années plus tard, en 1845, suite à une tornade qui l’a endommagé, elle est démontée pierre par pierre sous l’égide d’Eugène Viollet-le-Duc dans la perspective d’être remontée. Mais ces travaux n’ont jamais eu lieu, et les vieilles pierres ont dépéri, imposant sa restitution complète.
C’est à ce chantier exceptionnel d’un montant global de 37 millions d’euros que s’attelle l’association Suivez la flèche au côté des architectes des monuments historiques de l’agence 2BDM. « Voir enfin se reconstruire la flèche de ce joyau de l’art gothique constitue une chance unique », souligne son président Mathieu Hanotin, également maire de Saint-Denis. Alors que le chantier de fouille et de consolidation en sous-œuvre pour recevoir les 2000 tonnes du futur ouvrage s’achève après deux ans de travaux (voir encadré), les travaux de reconstruction à proprement parler devront démarrer à l’automne 2024. Ils devraient s’achever cinq ans plus tard, en 2029.
Numérisation de l'appareil de pierre
Pour mener à bien cette opération qui représente à elle seule un budget de 21 millions d’euros, la maîtrise d’œuvre s’appuie sur l’état de 1845, en respectant scrupuleusement les relevés et documents historiques, notamment ceux des deux architectes, ainsi que sur de rares photos d’avant la dépose. « Nous avons aussi la chance de pouvoir nous appuyer sur un stock de quelques pierres médiévales et d’une centaine datant de la reconstruction de 1838, pour garantir une restitution fidèle », indique Jacques Moulin, ACMH associé de l’agence 2BDM. « L’ensemble constitue une somme de documents sans équivalents », souligne-t-il.
Accompagnés d’Art graphique et Patrimoine, les architectes ont pu modéliser une à une les 15 228 pierres de l’appareil, créant ainsi un véritable modèle numérique de la tour comme de sa flèche.
Grâce à la restitution numérique de la tour nord et de sa flèche a partir de l'état de 1845, les équipes vont désormais pouvoir opérer sa restitution réelle. © 2BDM
Taille de pierre à l'ancienne
Sur le chantier, ces milliers de pierres seront taillées selon les techniques traditionnelles du Moyen-Age, à la main, tout en bénéficiant des moyens technologiques actuels. Techniques qui, selon Jacques Moulin, ont été largement oubliées. « Il est courant de voir des pierres sciées mécaniquement et sans aucun respect de leur taille ancienne, déplore-t-il. Des parallélépipèdes rectangles sont tristement attribués d’un surfaçage pompeusement appelé parement ». Or, toujours selon ses mots, « pour parvenir à une restauration convaincante, c’est la méthode originelle qu’il faut retrouver et pas seulement l’aspect superficiel du monument ». Une expérience que l’agence a d’ailleurs acquise au travers du chantier expérimental du château médiéval de Guédelon, qui consiste à reconstituer le monument comme au Moyen-Age.
Concrètement, les pierres seront ici extraites de la carrière de Saint-Maximin, dans l’Oise. « Au lieu de les acheter équarries, c’est-à-dire dégrossies, nous achèterons des "patates" de pierre », explique l’architecte. Elles seront ensuite fendues ou sciées pour obtenir le bloc, puis dégrossies au moyen d'outils comme des pics ou des haches. Le martelage pourra tout de même être mécanisé pour aider les artisans. L’arrière de la pierre ne sera pas taillé. Une fois la pierre approchée, elle sera parementée sur ses faces apparentes à la main ou à l’aide d’outils pneumatiques. « Il s’agira de mécaniser intelligemment ce qui peut l’être et préserver l’œil et la main du tailleur pour atteindre les coûts d’une restauration banalisée. Le respect de cette méthode n’existe nulle part, même pas à Notre-Dame », assure Jacques Moulin.
Au sommet de la basilique, Mathieu Hanotin, président de l'association Suivez La Flèche et maire de Saint-Denis (à g.), au côté de Jacques Moulin, ACMH associé de l'agence 2BDM (à d.), en charge de l'opération de restitution de la flèche de la basilique de Saint-Denis. © A.L.
Un chantier-école
Cette restitution qui se veut exemplaire mobilisera jusqu’à 130 artisans, pour les échafaudages (Entrepose échafaudages), la maçonnerie et la taille de pierre (SNBR, H Chevalier, et l’Atelier des sculpteurs), la ferronnerie (La Forge d’Art Loubière), la charpente et la menuiserie (Pasquier), ainsi que la couverture (Le Bras Frères). Des dizaines d’apprentis seront formés pendant la durée des travaux.
Le chantier sera augmenté d’un chantier visitable ouvert au public et installé dans les jardins de la basilique. Les travaux de ce bâtiment modulaire et léger, conçu pour être réemployé à l’issue du démontage, doivent également débuter en septembre 2024. Au printemps 2025, il invitera le public à la découverte des savoirs faire des bâtisseurs d’hier et d’aujourd’hui, ainsi qu’à un parcours numérique de médiation. Démonstrations, expositions, ateliers, salles immersives seront au programme de cette opération qui coûte à elle seule 10 millions d’euros sur le budget global.
Parraine ta pierre
Le projet est très largement soutenu par des collectivités territoriales. Le Fonds de Solidarité interdépartementale par l’Investissement (F2Si), la région Ile-de-France et la Métropole du Grand Paris le rendent possible avec un investissement de 31 millions d’euros. Des mécènes privés comme Vinci ont aussi répondu présents. Mais le projet a besoin d’un financement complémentaire estimé entre 3,5 et 5 millions d’euros.
Suivez la flèche et la Fondation du patrimoine se sont donc associées pour une collecte de fonds originale à travers le parrainage des pierres de l’édifice. Les donateurs peuvent dès maintenant parrainer une pierre allant des premières assises du clocher aux fleurons couronnant les pinacles, pour une valeur comprise entre 15 et 3000 euros pour les éléments d’exceptions. Cet investissement leur donnera accès à une visualisation numérique complète de la pierre grâce à la modélisation réalisée par l’équipe de maîtrise d’œuvre, ainsi qu’au suivi de la mise en œuvre de celle-ci depuis l’extraction en carrière jusqu’à la pose sur site. Chaque pierre parrainée sera accompagnée d’un certificat numérique d’authenticité.
Pour Guillaume Poitrinal, président de la Fondation, « il était impossible de laisser brûler la cathédrale Notre-Dame comme il n’est pas possible de ne pas reconstruire la flèche de la basilique de Saint-Denis ». L’édifice dionysien sera d’ailleurs mis en lumière aux yeux du monde le 26 juillet 2024, lorsque la flamme olympique entamera son dernier parcours, au départ de la basilique.
Consolidation du massif occidental de la basilique
Pour supporter les 2 000 t de la future flèche, il fallait tout d’abord consolider le massif occidental de la basilique sur lequel elle prendra appui. Débutée en 2022, cette phase de travaux s’achèvera en septembre 2024. L’opération de 3,5 millions euros, menée par 2BDM Architectes avec le bureau d’étude structure Michel Bancon et le géotechnicien Géolia a impliqué la reprise en sous-œuvre et l’élargissement des fondations existantes des quatre contreforts de la travée nord. Les maçonneries des murs ont été confortées par injections de coulis formulés à base de chaux. Des tirants métalliques ont été mis en place dans les chapelles hautes nord et centrale afin d’atténuer les poussées des voûtes.
Ces opérations ont toutefois fait l’objet de vives critiques de la part de 128 chercheurs et universitaires qui signaient en septembre 2021 une tribune, déplorant que ces travaux « dénaturent l’une des premières façades de l’époque gothique, venant tout juste d’être restaurés ». Les travaux comprennent aussi le nettoyage de la souche de la tour nord, autrement dit de la base sur laquelle s’appuiera la toute nouvelle flèche.
Le chantier a été précédé d’une fouille archéologique préventive, à l’extérieur et à l’intérieur de l’édifice, qui a nécessité la dépose et repose des dallages, des sols et des clôtures, y compris une partie de la surélévation intérieure et du perron du XIXe siècle. Là encore, la communauté scientifique était vent debout, dénonçant la destruction de « la chambre funéraire de Pépin le Bref […] partiellement ou entièrement, afin de mettre en place les semelles de fondation en béton armé pour consolider le massif de la façade ». Cette fouille a en tous cas permis de suivre l’évolution du massif sur près d’un millénaire et d’identifier plus de 200 autres sépultures.